lundi 29 octobre 2007

Mes Aïeux, ou le triomphe du misérabilisme adéquiste

J'ai souvent lu que la chanson québécoise est engagée. Pour être engagée, elle l'est certes — je pense à des groupes tels que Loco Locass ou aux Vulgaires Machins.

Mais être engagé veut-il dire, comme on le pense souvent, être de gauche? Pas nécéssairement. J'en veux pour preuve la chanson Dégénérations, chanson du groupe Mes Aïeux qui a remporté le prix du Félix de la meilleure chanson de l'année.

Ce que dit cette chanson est que le progrès a entraîné une perte des valeurs; que, face à l'attitude des baby-boomers, le salut de la jeune génération se trouve dans le retour à des points de repère d'un temps révolu: la vie rurale, la famille nombreuse, la volonté de vivre selon nos moyens. En bref, cette chanson reprend en tout point le discours de l'ADQ.

J'en veux pour exemple les deux premiers couplets de la chanson. Voici de quel manière on pourrait structurer l'argumentation de la chanson:

A) Présentation d'une situation vécu où tout le monde est beau et gentil: Ton arrière-arrière-grand-père, il a défriché la terre/ Ton arrière-grand-père, il a labouré la terre/ Et pis ton grand père a rentabilisé la terre...

B) Présentation de l'attitude du gros méchant baby-boomer pourri: Pis ton père il l'a vendu pour devenir fonctionnaire...

C) Présentation de la situation misérable de la génération actuelle: Et pis toé, mon p'tit gars, tu sais plus ce que tu vas faire / Dans ton p'tit trois-et-demi, ben trop cher, frette en hiver...

D) Présentation des aspirations de la génération actuelle, qui constitue un retour vers le point A: Il te vient des envies de devenir propriétaire / Et tu rêves la nuit d'avoir ton petit lopin de terre.

Morale de l'histoire: si ça va mal pour les jeunes, c'est à cause des baby-boomers — entendu en sous-texte par le biais du personne du baby-boomer fonctionnaire: la Révolution Tranquille, l'État québécois moderne — et il faut casser leur héritage malsain pour revenir à une époque où tout était plus beau. Autrement dit: heille, on était-tu ben dans l'bon vieux temps!?

Si ce n'est pas un condensé du discours populiste de l'ADQ, je me demande ce que c'est.

Il y a une différence entre reconnaître les excès du progrès et le nier en bloc. Mes Aïeux préfère la deuxième option; elle préfère promouvoir la nostalgie d'une époque qu'aucun membre du groupe n'a connu, une époque pas mal moins idyllique que les membres du groupe le pensent. Nos arrières-grand-pères ne terminaient pas leur secondaire alors qu'il est courant pour les membres de ma génération de fréquenter l'université; nos arrière-grand-pères pouvaient mourir de maladie aujourd'hui éradiqué tel que la variole ou la polio; nos arrières-grands-pères négligeaient leur santé puisque, contrairement à aujourd'hui, ils ne pouvaient pas se permettent de se payer un médecin; nos arrières-grands-pères habitaient des maisons insalubres à Ville Jacques-Cartier ou dans le Faubourg à M'lasse alors que n'importe quel étudiant fauché peut aujourd'hui trouver sur le marché montréalais des appartements salubres pour un prix décent; nos arrières-grands-pères devaient s'exiler en Nouvelle-Angleterre afin de trouver de l'emploi, alors qu'aujourd'hui le marché de l'emploi au Québec n'a jamais été aussi effervescent et dynamique.

Si quelqu'un veut entendre une chanson sur la misère, je lui ferai entendre la chanson de Claude Dubois, J'ai souvenir encore. Une chanson juste, sans larmoiement, sans misérabilisme, sans démagogie, avec un soupçon de dignité. Bref, tout ce que Mes Aïeux n'arrive pas à faire avec Dégénérations.

8 commentaires:

Renart Léveillé a dit...

Je vais ajouter ce texte à mon billet sur l'ADISQ.

Anonyme a dit...

Grâce à Renart j'ai lu votre texte. J'aime bien l'analyse que vous faites de cette chanson mais une seule chose m'accroche un peu dans celle-ci. Il faut se rappeler que dans la chanson traditionnelle québécoise (de style comptemporain ou non) il est dès plus normal de faire référence à la nostalgie,à nos racines, à la terre, etc. Donc, en soi je ne crois que l'on peut être sur que les membres du groupe rejète les progrès de la vie moderne sans leur demander directement. Cette nostalgie vient selon moi du fait que c'est le style même de la chanson traditionnelle du Québec que Mes Aïeux chante très bien (mon opinion).

Leif Thande a dit...

Je ne suis pas en accord avec votre analyse. Premièrement, Mes Aieux ne dépeint pas le passé comme une période de facilité, suffit de se référer au 5e couplet.

"Ton arrière-arrière-grand-père a vécu la grosse misère
Ton arrière-grand-père, il ramassait les cennes noires"


Concernant la perte des valeurs, ce que dénonce la chanson c'est la montée de l'individualisme. Or je ne crois vraiment pas que celà encourage une option politique plutôt qu'une autre.

Il faut faire attention de ne pas porter d'intentions politiques là où il n'y en a pas, ne serait-ce que par respect pour les auteurs.

Ostide Calisse a dit...

Je ne suis pas fan de Mes Aïeux ni de leur genre, mais je leur accorde qu'il y a un fond de vérité à la situation des babyboomers. Après la crise des années '30 et la 2ème guerre mondiale, nous avons eu droit aux Trente Années Glorieuses où régnait le culte de la jeunesse et un optimiste naïf pour le futur, doublés d'avancement sociaux arrivés tous en même temps pour ces mêmes jeunes (Régime de retraite, assurance sociale et médicament, infrastructures routières et énergétiques, etc) qui acheva de les convaincre qu'ils étaient une caste au-dessus de leur ascendants et de leur descendants.

Mon grand-père était dans le chemin durant la crise quand il a suivi un groupe de chômeurs pour fonder une colonie dans l'arrière-pays gaspésien qui n'est jamais devenu plus qu'un village qui a été fermé 40 ans après sa fondation. Après une vie de jobine en jobine, il a pris sa retraite juste avant de se faire exproprier en 1970. Il est mort à 95 ans avec 2000$ à la banque.

Moi, j'ai été à l'université, mais pour une job qui a de l'allure je suis toujours trop jeune ou trop vieux, trop ou pas assez qualifié, à 25 ans je me faisais traîter de ti-cul sans expérience par les babyboomer, à 35 ans je passe pour un has been dégénéré par les générations Y qui commencent à remplacer les rare babyboomers qui cèdent leur place.

Mon père et ma mère? Les programmes PIL (Programme d'Initiative Locale) des années '70, une job intéresssant avec un primaire avec un secondaire I, ils ont conduit leur premier char sur les routes et viaducs payés par nos grand-parents et maintenant réparés ou reconstruits à nos frais. Ça nous rit dans la face parce que les maisons valent maintenant un quart de million et qu'il faut attendre la mi-trentaine ou la quarantaine avant d'avoir des enfants, si on peut se le permettre.

Cinoche78: a dit...

@ Sgt Scott: merci pour le commentaire. La nature du folklore veut qu'il soit normal d'évoquer le passé, mais il y a une marge entre évoquer le passé et le glorifier de manière aveugle. J'ai plutôt l'impression que cette chanson tombe dans la deuxième catégorie.

@ Leif: je ne pense pas que Mes Aïeux aient voulu dire que tout était plus facile, mais il y a dans ce discours une vision romantique du passé. Le groupe porte des lunettes roses lorsque qu'ils parlent du passé et des lunettes noires lorsqu'ils parlent du présent. À entendre Mes Aïeux, ma génération serait aussi misérable que des personnages d'un mauvais film canadien qui se passe en banlieue de Régina. Ma génération n'est pourtant ni dans un meilleur, ni dans un pire état que la précédente.

Si l'on se base sur la logique interne de la chanson, on constate que cet individualisme tant décrié culmine avec le gros méchant baby-boomer fonctionnaire qu'il faut chasser à grands coups de fourches et de râteaux — bref, renverser un représentant du modèle social québécois actuel pour le remplacer par quoi? Un élan de solidarité inspiré par le Canada français de la fin du 19e siècle. C'est plutôt utopique et anachronique, non?

@Ostide: Wow, ton grand-père en a bavé un bon coup! X-(

Crois-moi, je ne suis pas en train de défendre les baby-boomers, loin de là. Mais ce que je reproche au groupe est de jeter le bébé avec l'eau du bain — lire: s'il y a des babys-boomers dans le coup, alors ça doit être obligatoirement malsain et individualiste.

Anonyme a dit...

Ton texte est vraiment intéressant. Je l'ai découvert grâce à mon ami Renart. Je n'en pense pas moins, et ta perspective s'ajoutera à ma rhétorique dès aujourd'hui. PS: je te recommande cet article écrit par mon ami Vecteur, il y a déjà quelques mois. Ciao.

http://vecteur.canalblog.com/archives/2006/11/27/3286425.html

Ostide Calisse a dit...

Sans m'embarquer dans des arguments générationnels, je crois que les Y sont plus cléments envers les babyboomers parce qu'ils en ont moins bavé que les X.

David a dit...

Cinoche, je crois sincèrement ici voir une grogne impitoyable contre un groupe très populaire du Québec. Pourquoi? Parce qu'ils sont sortis de leur place underground du néo-trad-pop dans lequel on les enterrait? Parce qu'ils ont enfin mis un doigt sur le 'tit bobo de notre société? Parce que ça ne reflète pas ta vision des choses?

Analysons, puisque ça nous amuse.

Ton arrière-arrière-grand-père il a défriché la terre
Ton arrière-grand-père il a labouré la terre
Et pis ton grand-père a rentabilisé la terre
Pis ton père il l'a vendue, pour devenir fonctionnaire


Qu'est-ce qu'il y a de mal là-dedans? En quoi ça ne pourrait pas être vrai? Continuons.

Et pis toi mon p'tit gars tu sais pus c'que tu vas faire
Dans ton p'tit trois et d'mie, ben trop cher fret en hiver
Il te vient des envies de dev'nir propriétaire
Et tu rêves la nuit d'avoir ton petit lopin d'terre.


Quel jeune étudiant, pris dans son appartement parce qu'il a suivi l'exode de la région (j'en ai été un de ces jeunes fuyards) qui se planque dans son logement à 600$ par mois qu'il arrive à peine à payer, ne rêve pas un jour ou l'autre à une maison, un petit coin à soi? En quoi, encore ici, est-ce mal? Parce que Papa n'a pas légué sa terre à fiston? Ce n'est pas ce que dit Mes Aïeux : ils dénoncent le quotidien de certains jeunes face à leur avenir incertain, parce que trop "girouette" pour vraiment s'investir dans un travail, dans un endroit, face à leur précarité et les choix de vie. Papa a fait sa vie, Fiston devrait faire pareil.

Ton arrière-arrière-grand-mère elle a eu quatorze enfants
Ton arrière-grand-mère en a eu quasiment autant
Et pis ta grand-mère en a eu trois c'tait suffisant
Pis ta mère en voulait pas, toi t'étais un accident


Constat historique! Montée du féminisme, déclin des naissance au Québec, puis petit boom démographique. En tout cas, à travailler exclusivement avec des filles, je suis au premier rang pour m'en rendre compte, même si certaines s'en sauvent en avortant, malheureusement. Mais à qui la faute? Au babyboomers qui ont libéraliser l'opération? Faux. On sent présentement un regain d'énergie de natalité. On sent le retour à la famille fonctionnelle. Ce que rêve la jeune fille dans la chanson...

Tes arrière-arrière-grands-parents ils savaient comment fêter
Tes arrière-grands-parents ça swinguait fort dans les veillées
Pis tes grands-parents ont connu l'époque yé-yé
Tes parents c'tait les discos c'est là qu'ils se sont rencontrés

Et pis toi mon ami qu'est-ce que tu fais de ta soirée ?
Éteins donc ta TV faut pas rester encabané
Heureus'ment que dans vie certaines choses refusent de changer
Enfile tes plus beaux habits car nous allons ce soir danser


Cet autre constat est on ne peut plus vrai!!! Je jasais justement avec mon père ce week-end, qui me disait à quel point mon frère était plutôt amorphe quand il venait à la maison, qu'il s'enfermait dans le salon pour jouer à des jeux et regarder des films...

La montée de l'individualisme, les problèmes contemporains, les effets des choix de certaines personnes et (merci sgt scott) un certain lien envers la pensée de la musique trad se retrouvent dans ce texte, qui n'est rien de moins qu'un point de vue apolitique (franchement, l'ADQ?? ce parti opportuniste??) d'une société qui "deal" mal avec sa propre conscience sociale, qui a un mal de vivre assuré.

J'en fais partie de cette société et je n'ai pas peur de le dire. Et j'ai mal. Mais on va s'en sortir.