Qu'on me permette, pour une rare fois, de rédiger un blogue human interest.
J'ai travaillé dans quelques centres d'appel, et j'ai observé que chaque endroit a ses bêtes noires. Ça peut être des malotrus mal élévés, dont une seule conversation avec eux donne le goût de passer un coup de fil à un groupe de recherche en anthropologie, question de leur faire part de notre découverte du chaînon manquant.
Ça peut être aussi des personnes avec des problèmes de solitude. À l'époque où je travaillais dans un centre d'appel de perception de comptes de carte de crédit, il était courant de parler avec des personnes âgés qui, sous aucun prétexte, ne voulaient raccrocher. Je rappelle que je travaillais dans un centre d'appel où nous appelions les gens afin de leur demander des paiements sur leur carte de crédit... et pourtant les gens étaient heureux de recevoir notre appel: enfin, une voix humaine! Non seulement content — et ce n'est pas une figure de style — d'expliquer les plus récents déboires concernant le versement de leurs chèques de pension, ces clients nous racontait leur vie dans le détail, du petit-fils qui entrait à la maternelle jusqu'au plus récent de leurs problèmes médicaux. Ces conversations étaient d'autant plus embêtantes à gérer que nous étions chronométrés pour chacun des appels.
À vrai dire, certains employés préféraient même des appels de psychopathe à ceux de gens seuls.
Ce qui m'amène à l'énigmatique monsieur Tremblay — ce qui, comme vous le devinez sans doute, n'est pas son nom véritable. Je ne suis pas ici pour tirer sur les ambulances, après tout.
Je supçonne ce monsieur Tremblay de souffrir de solitude. Car, depuis les dernières années, monsieur Tremblay appelle très souvent le centre d'appel dans lequel je travaille afin de causer hockey. S'insiste: pour causer hockey, et pour aucune autre raison. Certes, je suis bien prêt à parler des hauts et des bas de Nos Glorieux avec un client alors que je suis dans le processus de compléter une transaction avec ce dernier... mais il est bien là, le problème: monsieur Tremblay n'a jamais effectué un seul achat durant toutes les années où il a appellé.
Nous ne savons pas grand chose de lui, si ce n'est qu'il semble être un hyperactif du téléphone. Il est très connu des employés du Centre Bell pour son insistance à les appeler afin de jaser hockey, et la rumeur veut qu'il soit sur la liste noire de CKAC car il monopolisait les lignes de la station. Et, comme toute personne ayant eu une conversation avec lui peut en témoigner, cette personne — au demeurant inoffensive — ne semble malheureusement pas en pleine possession de ses facultés intellectuelles.
J'estime qu'il doit nous avoir appellé des milliers de fois depuis toutes ces années, à tel point que les employés le connaisse par son prénom. En fait, la hantise d'un employé exemplaire est de voir son nom et son numéro de téléphone apparaître sur l'afficheur. Car recevoir son appel est un no-win situation:
1) On peut entrer dans son jeu: à ce moment, on fait attendre pour rien des gens qui, eux, veulent véritablement acheter des billets;
2) On peut lui expliquer que nous ne sommes pas là pour jaser hockey: cette approche est courtoise, mais vaine, car cela fait des années qu'il appelle en dépit du fait que des dizaines de téléphonistes lui ont expliqué cela de toutes les manières possibles;
3) On lui raccroche la ligne au nez manu militari: efficace, mais d'une impolitesse crasse. Et, de toute façon, il rappelle immédiatement.
C'est dans des cas comme ceux-ci que je me compte chanceux d'être entouré de bonnes personnes et d'avoir toute ma tête... ou presque. Insister pour jaser de hockey à un téléphoniste qui n'est pas là pour ça démontre une grande détresse, à mon plus humble avis.
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2 commentaires:
C'est vraiment, vraiment étrange qu'il choisisse de vous téléphoner plutôt qu'à l'une des multiples lignes d'entraide!
C'est ce que nous nous demandons également. :-S
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